MARKUS AND SHAHZAD : ASIAN OUD FOUNDATION
Il faut bien admettre que pour certaines choses la mondialisation et Internet ont eu du bon. Les frontières géographiques et esthétiques sont tombées à vitesse Grand V tandis que les humains pouvaient entrer en contact et découvrir les cultures des autres en quelques clics. Et parfois cela finit même par de véritables rencontres humaines et artistiques comme Markus And Shahzad. Le oudiste angevin et le chanteur pakistanais sortent leur deuxième album, et pour en parler nous avons posé quelques questions à l’homme de l’ombre, celui dont le prénom n’apparait pas dans le nom du groupe mais qui reste tout autant essentiel dans le projet, le claviériste touche-à-tout Xavier Pourcher.
La semaine dernière, vous avez joué au Chabada pour fêter la sortie de ce deuxième album, « Janna Aana ». Mais le suspense sur la venue de Shahzad a duré presque jusqu’au bout !
C’est le moins qu’on puisse dire. Le concert avait lieu le vendredi soir, et Shahzad est arrivé à Angers le jeudi soir. On a a peine eu le temps de répéter ensemble alors qu’on n’avait plus joué tous ensemble depuis fin juillet 2019. Il y a eu des tas de rebondissements administratifs. Shahzad nous a même expliqué qu’à la fin il n’y croyait tellement plus qu’il avait calé des concerts au Pakistan qu’il a dû annuler un peu au dernier moment pour pouvoir venir en France, et que les promoteurs de ces concerts sont même venus chez lui avec l’intention de lui casser la figure parce qu’ils n’étaient pas contents ! Il devait au départ arriver la semaine dernière mais au moment de monter dans l’avion, le type des frontières n’a jamais voulu le croire et a pensé que son laisser-passer était un faux. Et comme il était trois heures du mat’, le supérieur qu’il a appelé l’a envoyé bouler et lui a dit qu’on verrait ça le lundi suivant. Il a fallu refaire toutes les démarches administratives (parce que le visa est daté très précisément), le test COVID, racheter un billet, etc. Le stress… En revanche, quand il s’est repointé à l’aéroport jeudi matin, des gens avaient dû se faire engueuler parce que Shahzad nous a raconté qu’il avait été accueilli comme un prince. (rires)
Qu’est-ce qui a changé dans votre façon de travailler entre le premier et ce deuxième album ?
Si on veut schématiser un peu, on pourrait dire que pour le premier on avait quand même beaucoup avancé sur les compos avant que Shahzad vienne enregistrer ses voix. On avait donc composé un ou deux titres vraiment ensemble en fin de session, mais globalement il avait surtout posé sa voix sur nos compositions. Entre les deux disques, on est allés jouer au Pakistan, on a rencontré et joué avec ses musiciens là-bas, on s’est beaucoup mieux imprégnés de sa musique et de sa culture. On a écouté beaucoup de musique Qawwali, y compris celle du père et du grand-père de Shahzad qui est issu d’une célèbre famille de musiciens au Pakistan (son père a eu un BBC Award en 1983 !). Tous ces échanges ont nourri le nouvel album. Ce n’est plus seulement la voix de Shahzad qui amène l’élément Qawwali, mais tout un tas d’arrangements de percussions et autres qui font qu’on va plus loin dans le métissage des musiques. On a également eu de meilleures conditions d’enregistrement, dans un vrai studio, et une vraie production derrière. Donc on passe un cap, c’est normal.
Paradoxalement, je trouve ce nouveau disque plus pop que le précédent, en tout cas dans ses structures couplets-refrains efficaces…
Ah oui, je suis d’accord. Dans la structure des morceaux on a vraiment essayé d’aller à la concision et à l’efficacité. Mais on s’est aussi vite rendu compte que la musique Qawwali, contrairement par exemple à la musique indienne, repose beaucoup sur des mélodies chantées de ce qui ressemble à nos refrains, même si les structures de leurs morceaux peuvent être très longues puisque c’est une musique de transe. On a donc voulu s’appuyer sur ces lignes de chant archi mélodiques de Shahzad qui lui viennent super naturellement. C’est donc assez facile de construire des morceaux « pop » dessus. Quand on ne s’y intéresse pas de près, on pourrait penser que la musique indienne et la musique Qawwali sont assez identiques, alors que pas tellement. On s’est rendus compte que la musique indienne est beaucoup plus stricte, plus proche de la musique de chambre chez nous par exemple, alors que le Qawwali c’est une musique pour faire danser les gens, donc c’est finalement une musique populaire malgré toute sa base spirituelle puisqu’au départ ce sont des textes soufis qui sont chantés.
Tous les textes de Shahzad sont donc des poèmes soufis ?
Il s’arrange un peu. Il pioche des extraits de poèmes ici où là, qu’il retransforme à sa sauce parfois, qu’il mélange à ses propres écrits ou à des textes qu’il commande à d’autres. Pendant la composition du disque, je me souviens l’avoir vu téléphoner à quelqu’un au Pakistan pour lui expliquer qu’il voulait un texte qui exprime tel ou tel truc. C’est assez fascinant de le voir construire ses textes.
Dans les années 90 il y a eu une grosse scène autour de la musique Qawwali, de Nusrat Fateh Ali Khan à Asian Dub Foundation. Est-ce que c’est quelque chose dont vous cherchez à vous démarquer ou auquel vous vous sentez appartenir ?
Pour être honnête, on n’a jamais tellement pensé à ça. On a bien entendu beaucoup écouté Nusrat parce que c’est un nom incontournable dans la musique Qawwali, mais on n’a même jamais tellement apprécié ses disques « crossover » avec Peter Gabriel. Et puis il y a aussi le oud de Markus qui est plutôt un instrument du Moyen-Orient donc le métissage des musiques est plus large que le simple Pakistan, on est dans un bassin méditerranéen élargi. Et on mêle tout ça avec nos influences occidentales, pop ou electro. Les trucs qu’on a écoutés pendant la maturation de ce disque n’étaient pas forcément ces artistes qui ont fait des ponts avec les musiques indienne ou pakistanaise, mais plutôt des groupes d’aujourd’hui qui explosent de l’intérieur leurs musiques traditionnelles comme les Turcs de Baba Zula par exemple.
Y a-t-il une chose que vous avez découvert dans la musique Qawwali qui va marquer votre façon de travailler, et une chose que Shazhad a découvert chez vous qui marquera la sienne ?
De notre côté, on a vraiment pris conscience de la force de la mélodie des refrains dans leur musique. Ca a été une sorte de révélation. De voir à quel point c’est important dans leur musique, et donc finalement dans toutes les musiques. La force d’une mélodie qui t’accroche et qui t’emmène. Parce que ça finit forcément dans une sorte de ferveur collective où tout le monde se retrouve en transe. Et le point de départ, c’est la mélodie, plus que le rythme comme habituellement dans les musiques de transe. Ca m’a rappelé des sensations que j’avais pu avoir à Austin en assistant à une messe dans une église baptiste. Ca te met le frisson ! Shazhad, lui, ce qu’il aura retenu, je pense, c’est l’importance de respecter les structures d’un morceau. Parce que chez eux ils sont assez free là-dessus. C’est le chanteur qui mène la danse, les autres doivent le suivre. Ici il a dû comprendre et accepter que ça ne fonctionnait pas comme ça, et qu’il fallait tous s’écouter. C’est un véritable bouleversement culturel de réussir à comprendre ça. Je pense aussi qu’il a vécu des moments super forts avec nous sur scène, parce qu’il a pu jouer devant plusieurs milliers de personnes à donf sur certaines dates. C’est des émotions fortes. Y a un concert où il s’est carrément mis debout pour chanter tellement il était transporté par la foule, alors que c’est un truc interdit dans la tradition Qawwali normalement. Mais là l’émotion a été plus forte que la tradition !