Mardi 12 Octobre, nous vous présentions le documentaire « 20 feet from stardom » chez nos copain·ines du Qu4tre, en partenariat avec nos autres copain·ines de Premiers Plans. Voici maintenant un petit + du Chabada pour aller plus loin, pour celles·ceux qui le souhaitent…
Darlene Love, Merry Clayton et toutes les autres chanteuses interviewées dans le documentaire « 20 feet from stardom » sont malheureusement loin d’être les seules à avoir eu des carrières compliquées. Voici quelques exemples de parcours hors-norme de chanteuses, dont vous avez pourtant souvent entendu la voix ou les chansons, sans pour autant toujours connaître leur nom.
Comme tout le monde ou presque dans la soul, Gloria Jones a débuté sur les bancs de l’église, puis dans des groupes de gospel. Assez rapidement pourtant, elle est approchée par le compositeur/producteur Ed Cobb qui lui propose d’enregistrer en 1964 un morceau qu’il a écrit, « Tainted Love ».
Le morceau fait un flop à sa sortie. Il est cependant redécouvert une dizaine d’années plus tard de l’autre côté de l’Atlantique. En 1973, le nord de l’Angleterre est en effet pris d’une véritable fièvre « Northern Soul ». Les jeunes Anglais·es font alors des centaines de kilomètres pour danser toute la nuit sur des morceaux de soul obscurs déterrés par des DJs devenus rois. C’est le premier mouvement clubbing de l’Histoire, et le « Tainted Love » de Gloria Jones devient un des classiques de ces soirées. C’est d’ailleurs dans ce contexte que deux fêtards du nom de Marc Almond et David Ball vont découvrir le morceau et décider de le reprendre avec leur groupe Soft Cell en 1981. Cette fois-ci, le tube devient mondial.
Entre les deux versions de la chanson, Gloria Jones est retournée dans l’ombre d’autres artistes, participant à la comédie musicale « Hair » ou faisant les choeurs sur des disques de Neil Young, Roy Ayers ou Joe Cocker. En 1973, elle intègre le célèbre groupe de glam-rock T-Rex et devient rapidement la compagne de son leader Marc Bolan, avec qui elle aura un fils. Elle profite alors de la médiatisation de son compagnon. Malheureusement, Marc Bolan meurt brutalement dans un accident de voiture en 1977. Gloria Jones était au volant…
Venetta Fields commence sa carrière au tout début des 60s chez les Ikettes, les choristes qui accompagnaient la revue de Ike & Tina Turner. Le trio enregistra quelques disques sous son nom, profitant de la renommée de ses employeurs, et finit même par s’envoler de ses propres ailes en 1966 en changeant leur nom en The Mirettes.
Mais l’aventure tourna court à la fin de la décennie. Venetta Fields retourna donc dans le fond de la scène et loua ses cordes vocales à Quincy Jones, Tim Buckley, Steely Dan, Joe Cocker, Neil Diamond, Leonard Cohen, Diana Ross, Bob Dylan ou Aretha Franklin. On l’entend notamment sur quatre morceaux du mythique « Exile On Main Street » des Rolling Stones en 1972.
Trois ans plus tard, en 1975, elle chante, avec sa vieille complice Carlena Williams, sur l’un des plus beaux disques de Pink Floyd, « Wish you were here ». Ses harmonies vocales rendent « Shine on you crazy diamonds » littéralement envoutant. À vrai dire, ce morceau nous fait pleurer à chaque fois. Heureusement pour se remonter le moral, on peut toujours se mettre la chanson-titre de « Grease » du film du même nom, dans lequel rugit également Venetta Fields parmi le choeur.
Jo Armstead démarre à la fin des 50s derrière le crooner Bobby « Blue » Bland, mais elle intègre vite ce qui deviendra la première mouture des Ikettes (avant l’arrivée de Venetta Shields). Après quelques années, elle décide de s’émanciper de l’emprise de Ike Turner et part proposer ses services à la concurrence (James Brown, B.B. King…). Elle finit même par écrire des chansons pour les autres. Aretha Franklin ou Syl Johnson lui doivent par exemple un hit chacun. Elle en écrira également deux pour le grand Ray Charles, donc ce « I don’t need no Doctor » d’anthologie !
Au cours des années 70s, Jo Armstead alternera entre ses propres disques, plus ou moins confidentiels, et participations à ceux de superstars comme Esther Phillips, Roberta Flack, Burt Bacharach, Taj Mahal, Nina Simone ou Bob Dylan.
Le morceau de Dylan sur lequel on entend Jo Armstead est dédié à George Jackson, un leader des Black Panthers, assassiné en 1971 par des gardiens de la prison de San Quentin. La mort de Jackson sera l’une des étincelles qui mettra le feu aux poudres dans la prison d’Attica où eurent lieu quelques semaines plus tard de violentes émeutes qui inspireront à Archie Shepp un des ses plus beaux disques, sur lequel on retrouve encore et toujours Jo Armstead !
Viola Wills était précoce. Elle n’a que huit ans quand, encore sur les bancs de son église de quartier, elle remporte un concours qui lui ouvre les portes du Los Angeles Conservatory of Music. Mais elle était aussi précoce pour le reste puisqu’elle était déjà mère de six enfants à 21 ans. Pour remplir la marmite, elle est alors embauchée par un jeune producteur qui cherche désespérément à percer, un certain Barry White. Le futur ogre de la soul la laissa d’ailleurs éhontément sur le bas-côté lorsqu’il trouva enfin la célébrité avec son Love Unlimited. Viola Wills enregistre alors sous son nom quelques morceaux ici ou là, dont ce méga-funky « Sweet back » en 1969 qui mérite tellement mieux que l’anonymat dans lequel il est plongé depuis sa sortie.
En 1971, elle devient copine avec une certaine Gloria Jones qui la fait embaucher dans le groupe de Joe Cocker. Les deux tournent avec l’Anglais et chanteront notamment sur ce morceau qui devrait chatouiller les oreilles de tous·tes les fans de hip hop américain des 90s.
Suite à cette aventure, Viola Wills compose beaucoup, monte un groupe avec ses enfants, se lance dans le circuit des clubs de jazz, et s’installe finalement en Europe. Elle finit enfin par rencontrer un semblant de succès en 1979 avec une relecture disco d’un vieux hit des 50s, « Gonna Get Along Without You Now », dont carrément trois versions remixées ressortiront en 1984, 1989 et 1997. Un succès ironiquement tardif pour une précoce.
Minnie Riperton est certainement la plus connue des cinq chanteuses qu’on vient de vous présenter. Minnie avait même tout en main pour devenir aussi célèbre qu’Aretha, mais la vie en a décidé autrement. Originaire de Chicago, elle se retrouve à faire les chœurs pour les artistes qui venaient enregistrer au célèbre studio du label Chess Records. On la découvre ainsi au générique de disques d’Etta James, Ramsey Lewis, Bo Diddley, Chuck Berry ou Muddy Waters. Elle donne également la réplique à Fontella Bass dans son génialissime « Rescue me ».
Sa voix incroyable qui lui permet de couvrir quatre octaves lui ouvre rapidement les portes des studios pour une carrière solo. Elle décroche la timbale en 1974 avec son deuxième album « Perfect Angel », qui déborde de tubes dont cet intemporel « Loving You ».
Mais la diva n’aura pas vraiment le temps d’apprécier son succès. On lui diagnostique un cancer en 1976, qui finira par l’emporter en 1979. Entretemps, elle enregistra néanmoins encore trois très beaux disques sous son nom et quelques participations à ceux de son très grand ami et premier fan, Stevie Wonder. Sa notoriété ne cesse de grandir avec le temps, c’est sa revanche sur la maladie.