En Amour, comme en musique, dans une relation longue, il faut savoir entretenir la passion. Surprendre son partenaire, le séduire à nouveau. Montrer une autre facette de sa personnalité tout en restant celui qu’on aime. Et offrir des fleurs. C’est ce que fait Lo’Jo, avec ce nouvel album « [Fonetiq Flowers] ». On y découvre un groupe presque nouveau, tout en retrouvant celui qu’on suit depuis plus de trente ans. Rencontre avec Denis Péan et Richard Bourreau, les deux piliers historiques de Lo’Jo.
« [Fonetiq Flowers] » sonne assez différent des autres disques de Lo’Jo. J’ai l’impression que « Cinema El Mundo », votre album précédent, a clos un chapitre de votre histoire ?
Denis : On ne prend pas tellement de décisions. C’est toute une vie qui nous amène à ça. J’ai l’impression depuis toujours d’essayer de traquer l’indicible. C’est une mission absolument impossible. J’ai donc toujours le sentiment de ne pas y être arrivé. Donc recommençons. Allons plus loin. Soyons à la fois plus exigeants et à la fois plus ouverts. En 2009, avant « Cinema El Mundo », nous avions déjà sorti « Cosmophono », qui est un disque qui n’a pas trouvé son public. Tout y était joué live, sans vraiment de re-recording. C’était très brut. Nos invités venaient surtout du jazz, comme la jeune trompettiste Airelle Besson. Avec le recul, je pense qu’on avait livré un fruit qui n’était pas mûr. Parfois, il faut trois disques pour en faire un. C’est un chemin vers une façon de faire. C’est plus un parcours qu’un aboutissement. Et peut-être qu’il fallait qu’on passe par « Cosmophono » puis par « Cinema El Mundo » pour réussir « Fonetiq Flowers ».
Richard : Je crois aussi que la grosse différence c’est qu’on s’y est pris très longtemps à l’avance, ce qui nous a permis d’aller vraiment au bout du bout des choses, sans rien s’interdire. Sur certains morceaux par exemple, certaines parties ont été essayées avec divers instruments, et on choisissait à la fin celle qui collait le mieux à l’ensemble. Ca a été un vrai terrain d’expérimentation en amont, mais on voulait que les choses soient le plus arrêtées possible avant d’entrer en studio, même s’il y a toujours des trouvailles de dernière minute qui t’obligent à réinventer encore et toujours le morceau.
C’est probablement votre disque le moins « ethnique ». Et le plus electro-acoustique.
D : C’était un parti-pris. Je me suis beaucoup amusé avec Tonio, notre ingé-son, à créer des textures sonores, j’ai un capital de sons qui sont des rebuts de studio, que j’aime bien retravailler par la suite en changeant l’équalization, le tuning, les effets. J’ai fait des mélanges sonores qui ont servi de texture à pas mal de chansons de ce disque. Quand on nous a collé l’étiquette « world music » dans les années 90 à la sortie de « Fils De Zamal », je n’ai pas trop compris ce que ça voulait dire. On a toujours mis la matière sonore en avant dans Lo’Jo. Même les voix, les textes, sont au service de la musique.
R : C’est effectivement quelque chose que Denis essayait d’impulser depuis déjà quelques disques, mais tout le monde dans le groupe n’y était peut-être pas encore prêt. Cette fois-ci, le timing était le bon. C’est venu très naturellement. On a voulu trouver la même émotion, les mêmes couleurs, avec des vieux claviers, des samplers, qu’avec nos instruments traditionnels.
Vous avez travaillé pour la première fois avec Albin de la Simone sur ce disque ?
D : Je voulais travailler avec un pianiste, parce qu’il y a des choses que je ne savais pas faire. Jean Lamoot, notre producteur, nous a soumis le nom d’Albin de la Simone. On lui a fait confiance et ça a été une belle rencontre pendant deux jours en studio à Paris, peu avant que le groupe ne démarre l’enregistrement du disque en tant que tel. J’ai été très touché par l’attention qu’il portait aux chansons, à sa manière de les agrémenter, de les étoffer, les colorer.
Comment s’est déroulée la composition de ce disque ?
R: Denis est arrivé avec des trames de morceaux déjà très avancés. On les a donc terminés ici ou là, en fonction des opportunités de tournée pour enregistrer nos invités, ou bien des instruments qui nous tombaient sous la main à tel ou tel moment. Je me souviens par exemple que Baptiste, notre batteur, s’amusait beaucoup avec une sorte de petite guitare un peu bizarre qu’on avait trouvée dans la maison qu’on occupait alors à Austin. Au bout d’un moment, on s’est rendu compte que ça collerait bien dans « Fonetiq », le morceau d’ouverture de l’album. Comme nous avions toujours avec nous un petit studio mobile, ça nous a permis d’enregistrer des tas de bouts à droite à gauche pour composer les morceaux. Pour « Stranjer Than Stranjer », on est par exemple partis des voix des filles, et on a créé des accords en se basant sur leur ligne de chant, et le morceau s’est construit peu à peu comme ça, jusqu’à ce qu’on l’envoie à Erik Truffaz, qui l’a emmené encore ailleurs.
D: La base de « Fonetiq » avait été composée en une heure, alors que j’étais seul à la maison, un soir d’hiver un peu amer. J’avais épuisé toutes les ressources de gammes de piano que je connaissais. Je suis allé chercher un vieux clavier enfantin qui avait servi dans « Dans la poussière du temps » (dans « Mojo Radio ») et qui avait appartenu à Yamina (Nid El Mourid, une des chanteuses de Lo’Jo) quand elle était enfant. J’ai choisi le son disco, j’ai trouvé un tempo, une suite d’accords, et j’ai réuni des bouts de textes arbitrairement, pas mal de choses que j’avais écrites au Liban. C’est la première fois que je composais une chanson aussi vite.
C’est un disque très arrangé, avec plus d’électronique que d’habitude. Cela a-t-il compliqué le travail de réappropriation pour le jouer sur scène ?
R: Pas tant que ça au final. Denis a un nouveau système qui lui permet de déclencher en direct tout un tas de samples ou d’éléments qu’on a utilisés pour l’album. Et comme ce sont souvent des squelettes assez minimalistes, ça nous laisse beaucoup de place pour nous exprimer avec nos propres instruments par-dessus. Ca laisse même de la place à l’improvisation si on veut, il suffit juste que Denis relance plusieurs fois le squelette. Ca ne nous fige pas sur une structure bien définie, comme c’est parfois le risque avec les musiques électroniques. A part « Figurine » et « Nanji » qui sont deux titres un peu plus abstraits, on va donc pouvoir jouer l’intégralité du disque. Après, comme d’habitude, c’est surtout une histoire de choix. On ne peut jamais rejouer toutes les parties de tous les instruments qui sont sur un disque. Il faut garder ce qui est le plus emblématique. Mais les premiers retours que nous a fait notre entourage technique pendant les résidences était très encourageants. Ils nous ont tout de suite dit qu’ils retrouvaient bien l’univers sonore de l’album. C’est plutôt bon signe !
Lo’Jo présentera « [Fonetiq Flowers] » sur la scène du Chabada le samedi 16 Décembre 2017.
CHRONIQUE:
Lo’Jo – [Fonetiq Flowers] (Harmonia Lundi / World Village / PIAS)
Longtemps, les média parisiens ont pris Lo’Jo pour des campagnards, n’accordant que peu d’intérêt à la musique des Angevins, obligés de trouver une crédibilité à l’étranger. Les média n’avaient pourtant pas tout à fait tort. Comme la nature qui renaît intacte à chaque printemps, Lo’Jo continue de sortir, 28 ans après son premier essai, des disques pertinents. Cette fois-ci ce sont des « Fonetiq Flowers » qui ont éclos dans la campagne angevine, de graines apportées des quatre vents. Un disque ambitieux, surprenant. Mais qui touche au cœur, comme d’habitude. Vous y danserez sur une valse brinquebalante rythmée par un chœur d’enfants (« Chabalaï »), retrouverez vos amours de jeunesse avec « Fonetiq », retiendrez votre souffle sur le magistral « J’Allais », hurlerez à pleins poumons « I will give you a wish » avec les sœurs Nid El Mourid (« Tu Neiges »), explorerez les tréfonds de vos âmes en vous accrochant à la trompette d’Erik Truffaz (« Stranjer Than Stranjer »), puis éteindrez la lumière sur « Figurine », le bouleversant instrumental final. Jusqu’au prochain printemps.
Disponible en CD/LP/digital le 1er septembre 2017.