« Avec le temps va, tout s’en va. » chantait Léo Ferré. Le chanteur anarchiste parlait bien sûr des douleurs de l’âme, mais sa maxime fonctionne aussi avec notre ère de l’information continue, où une actu en chasse immédiatement une autre dans les limbes de notre mémoire.
Ajoutez paradoxalement à cela une période de crise sanitaire qui a rendu notre rapport au temps élastique : deux ans qui nous en paraissent dix, un futur qui tarde à se profiler, une vie où les perspectives semblent vouloir ne se conjuguer qu’au présent. Du coup, au Chabada, on a décidé d’arrêter de s’essouffler à vouloir suivre le temps et l’actualité à bâtons rompus -course perdue d’avance de toute façon- et plutôt d’essayer de vous donner des rendez-vous réguliers (on va dire une fois tous les 15 jours ?) au cours desquels on vous détaillera la liste des choses qui ont retenu notre attention dans la scène locale. Il y aura donc des actualités récentes, mais aussi des artistes ou des disques qu’on avait à peine eu le temps d’évoquer par le passé ou bien des projets pas encore sortis mais sur lesquels on a déjà eu la chance de jeter une oreille. Bref, passé, présent et futur se mélangeront sans vergogne, mais nous espérons que ces escales sauront vous revigorer jusqu’à la prochaine étape de cette course infinie sur l’autoroute de l’information.
Commençons par un groupe qui symbolise bien cette temporalité étrange que l’on vit actuellement. Limboy est un groupe punk (avec du beau monde dedans puisqu’on y retrouve des musiciens de San Carol, VedeTT ou Jumaï) qui devait sortir son premier album et partir faire sa première tournée au printemps 2020, juste quand la pandémie démarrait donc. Résultat, on annule tout, retour à la case départ, ne touchez pas les 20 000 fans. Automne 2021, la situation semblait vouloir s’améliorer et la sortie du disque est alors annoncée au 13 décembre avec une belle tournée en janvier 2022 pour le promouvoir (dont une date angevine au Joker’s). Mais c’était avant de savoir que les concerts debout ne seraient plus possibles avant mi-février… Il faudra donc encore attendre pour chauffer le mosh-pit d’un concert de Limboy, mais il ne faut absolument pas que ça vous empêche d’aller écouter leur très bon disque qui existe au moins en digital (le LP semble également commandable sur le bandcamp, croisons donc les doigts !). Leur punk-noise hallucinogène réussit à introduire de la mélodie dans un tsunami furibard de guitares et de hurlements qui raviront aussi bien les kids fans de Thee Oh Sees ou Ty Segall que les vieux schnocks qui ont connu les grandes heures de la noise et du post-hardcore des 90s. Surveillez le programme du Joker’s pour voir quand le concert sera reporté !
En première partie de ce concert de Limboy (mais également d’autres de la tournée) était prévu un show d’un nouveau groupe de rock angevin répondant au nom trompeur de Fragile. Il y avait déjà eu un Fragile sur Angers par le lointain passé, projet solo ambient de Hervé Thomas, l’un des deux cerveaux de Hint, qui pour le coup portait bien son nom. Cette fois-ci, il s’agit plutôt de cinq jeunes branleurs qui font beaucoup plus de bruit. Vous avez peut-être déjà croisé leur trogne dans LANE (RIP), Scuffles (qui viennent d’intégrer l’Équipe Espoir du Chabada pour 2022, bravo à eux !), Wild Fox ou Dogs For Friends. En guise de présentation, ils viennent de sortir un très bon premier single / clip starring Annick & Gérard Sourice à la danse enamourée (et à qui le rock angevin doit quand même une sacrée fière chandelle). Pour les fans de Daria, La Dispute ou Sugar.
Tiens, tant qu’on parle du rock d’une certaine époque à Angers où les noms de groupes comme Les Thugs, Shaking Dolls (dans lesquels jouait d’ailleurs un tout jeune Hervé Thomas aka Fragile) ou Dirty Hands faisaient la fierté de nombreux Angevin·es, nous sommes heureux de vous annoncer que Gilles Moret, le chanteur/guitariste des Dirty Hands, reprend du service sous le nom de Gil. Le bonhomme vient de sortir deux titres (tous deux clippés) sur le label Nineteen Something, co-fondé par un ex-Les Thugs. L’un des morceaux s’appelle « Les Jours À Venir ». Les punks d’aujourd’hui ne chantent donc plus No Future, et ils ont bien raison.
Avec tout ce raffut, on pourrait oublier que les guitares ne sont pas là que pour faire saigner des tympans. On vous avait par exemple déjà dit tout le bien qu’on pensait du premier EP de We’Ve Been There Before, sorti en Mai dernier, mais on n’avait pas trouvé le temps de vous parler de son premier album, « As Life Goes On, So Does The Naked Heart », paru en catimini en fin d’année dernière. Les amateurs de folk mélancolique joué par des grungeux seront en terrain connu : il y a du Pearl Jam, du Mark Lanegan ou du Vic Chesnutt dans ce premier album, à écouter en regardant le frimas de l’hiver par la fenêtre embuée. Noël est passé, mais vous trouverez bien un prétexte pour (vous) offrir ce très beau LP ou CD en commande sur le bandcamp de W’VBTB.
Quand, à la fin des années 80, des Angevin·es ont créé une association pour demander la création d’une salle de concert et des locaux de répétition (le futur Chabada) à la mairie d’Angers, elle fut un peu pompeusement baptisée l’ADRAMA : Association pour le Développement du Rock et des Autres Musiques à Angers. Trente ans plus tard, les autres musiques vont bien, merci pour elles. Elles ont même souvent pris le pas sur le rock dans le coeur des jeunes. Il n’y a qu’à voir la vivacité de la scène hip hop qui n’a jamais été aussi éclectique et variée à Angers. Il y en a pour tous les goûts, de la trap au boom bap, du street à l’abstract. Dans les 90s, le Californien Snoop Dog jouait les chiens fous, chez nous Joh Berry se revendique chat des villes. Mais version chat de gouttière, à trainer son flow nonchalant dans les quartiers louches quand les derniers fêtards essaient de rentrer chez eux. Résultat, le mec est toujours un peu jet-lag. Ça tombe bien, c’est le titre de son nouveau single / clip qui sort pile pour démarrer sa troisième (et dernière) année dans l’Équipe Espoir du Chabada. Le rappeur est en train de bosser sur un nouvel EP dont on a eu la chance d’écouter une démo : on peut s’attendre à une belle volée d’émo-rap qui va faire vrombir les habitacles des voitures au feu rouge.
Dans le rap, on a toujours aimé les rivalités. On a opposé 2Pac à Notorious BIG, NTM à IAM ou Booba à Kaaris. Heureusement, chez nous, on a la douceur angevine. Pas la peine donc de chercher des noises à Odor si vous êtes fans de Joh Berry, les deux sont potes depuis longtemps. Et vous pouvez être sûr·es que la très bonne dernière mixtape en date d’Odor, intitulée « Adrénaline », a dû squatter le casque de Joh pendant de longues nuits blanches.
Dans une veine plus old school, nous vous conseillons également le premier EP du Bayou Bambou Club, collectif de cinq MCs et musiciens fidèles à l’âge d’or du hip hop, quand les samples obscurs de jazz et de funk, l’énergie rock et les textes travaillés faisaient office de sainte trinité. Écrit, composé et enregistré en six petits jours, cet EP respire l’amour de la Musique avec un grand M et démontre la grande maîtrise de ses auteurs. Et, accessoirement, le morceau « De une à cinq » a tout ce qu’il faut avec son riff de guitare contagieux et ses cuivres funky pour se faire une place dans la playlist de vos prochaines soirées entre ami·es (en respectant les gestes barrière, bien sûr).
On a beaucoup parlé cette fois-ci du passé et du présent, mais on a décidé de vous laisser tout de même sur un petit avant-goût de l’avenir. Le duo Kolina vient en effet de sortir un troisième single, et c’est un véritable petit bijou d’afro-pop groovy qui devrait vite entraîner tout le monde dans une transe collective, à danser et sourire, au milieu d’une foule en sueur. C’est moderne, c’est frais, c’est lumineux. Et ça donne très envie d’être à à plus tard pour écouter leur premier EP à venir.
Rédaction : Kalcha