©D. Vacher

DES LENDEMAINS QUI CHANTENT

20.04.2022

On ne va pas se mentir, on le pressentait déjà il y a quinze jours, l’actualité politique française ne nous donne que peu de raisons d’être optimiste pour l’avenir. Peur du futur, pas envie du présent… Hasard ou coïncidence, il y avait finalement assez peu d’actualités chez nos groupes locaux ces jours-ci (alors que notre prochain rendez-vous risque d’être chargé en sorties). On a donc décidé de regarder momentanément dans le rétroviseur et de vous reparler de quelques groupes angevins, aujourd’hui éteints, mais dont la flamme peut toujours nous guider dans l’espoirs de jours meilleurs.

À moins que ce ne soit qu’un simple prétexte à la nostalgie, conséquence directe de la rencontre qui a eu lieu à la Médiathèque Toussaint le mois dernier autour de « Radical History », la biographie sur Les Thugs écrite par le journaliste clermontois Patrick Foulhoux. À cette occasion, beaucoup de noms de groupes angevins du passé ont été évoqués, et ça nous a ensuite donné envie de nous replonger dans toutes ces reliques. Commençons donc par les patrons eux-mêmes, avec un morceau en français, « Les lendemains qui chantent » (on l’espère tous·tes !), tiré de leur album « Nineteen Something », sorti en 1997. Que celles et ceux qui ne connaissent pas déjà l’histoire du plus célèbre des groupes angevins se jettent sur le livre. Et ensuite sur les disques réédités (entre autres pépites de la scène rock française des 80s/90s) par le label Nineteen Something, fondé par un des membres du groupe. Attention, les images piquent un peu (VHS power, baby !), mais les habitué·es du Chabada et/ou des concerts organisés par Radical Production reconnaîtront quelques têtes juvéniles.

Et parmi les noms qui ont été évoqués lors de cette rencontre, il y eut celui de The Noodles, dont la musique s’est rappelée à nous par son éternelle modernité. The Noodles a pourtant eu une carrière météorite, stoppée en plein vol par le décès accidentel d’un des musiciens : trois ans, un 45T (« Dead For Nothing ») et un mini-album (« Dirty Soul »). Bam ! Ça n’a pas empêché leur musique de squatter la playlist du cultissime animateur de radio anglais John Peel. Sur les cendres de The Noodles, deux de ses membres s’en iront fonder une autre gloire locale (et bien au-delà), les Dirty Hands. On vous a d’ailleurs parlé il y a quelques semaines du retour aux affaires de leur chanteur. Un autre Noodles se retrouvera ensuite dans Casbah Club, puis aujourd’hui dans The Flicker. La discographie complète des Noodles a été rééditée par Nineteen Something en digital et en CD. Les vinyles d’origine, eux, se trouvent souvent à pas très cher sur le Net en fouillant un peu. À écouter bien fort dimanche avant de choisir vous aussi entre le right et le wrong.

Un beau jour, le bassiste des Dirty Hands a décidé de tout plaquer pour devenir une star de la chanson. C’est pas passé loin. En 1996, le « Clarisse et Sébastien » tiré de du premier album de Boochon ressemblait beaucoup à un tube en puissance (on pouvait même voir le clip sur M6, hein !). Les grosses maisons de disque le courtisent, mais ça finit en prises de tête, qu’il revient raconter chez ses vieux potes angevins du label Black & Noir dans un deuxième excellent album. Vous y trouverez toute une galerie de personnages hauts en couleurs qu’il vous faut absolument (re)découvrir, comme ce « Jo Hermann » décidément trop con, et tellement bas du front (toute ressemblance avec des…, etc.). Aujourd’hui Boochon ne fait toujours que ce qu’il lui plaît au sein de Des Lions Pour Des Lions. Dommage pour la chanson, et tant mieux pour nous.

© Fabien Garou

La même année que Boochon, un groupe de Saumur se lance dans le grand bain avec un premier album qui s’ouvre sur le morceau « Orange », en référence à l’une des trois premières villes (avec Toulon et Marignane) à choisir le Front National aux municipales de 1995. Pendant les vingt ans d’une carrière qui les emmènera jusqu’au Japon, les huit hommes de La Ruda (Salska) n’auront de cesse d’imposer par l’exemple leur philosophie de vie « Mélangeons nos cultures, pratiquons l’ouverture ! », repris en chœur à chaque concert par des milliers de fans dans des flots de sueurs et de sourires contagieux.

C’est fou ce qu’un simple mot peut cacher de nos peurs et de notre ignorance. Prenez le mot « barbare ». Au départ, dans la Grèce Antique, il définissait celui qui ne parlait pas la langue de la cité et par conséquent celui qu’on ne comprenait pas. Donc l’Autre, l’Étranger. Si on ne le comprend pas, on peut alors plus facilement lui coller sur le dos, au fil des siècles, tous les maux de la Terre jusqu’à lui nier son humanité. Et devenir soi-même un barbare, au sens actuel du terme. On vous laisse méditer sur ce paradoxe en écoutant le magnifique « Barbares », issu de « Voxyca », le deuxième album de Kyu, sorti en 2000. Si vous êtes normalement constitué·es, vous devriez ressentir à 2’26 un long frisson qui ressemble à s’y méprendre à un orgasme mental. C’est normal. Aujourd’hui, on retrouve un Kyu dans Scenius, et un autre dans Lowpkin.

© Cat's Eyes

Dans nos sociétés actuelles, le barbare n’est plus simplement celui qui ne parle pas notre langue. Mais toujours celui qu’on ne comprend pas. Parce que c’est plus simple de mettre les gens dans des cases plutôt que d’essayer de les voir dans leur complexité et leur singularité. Et nous faisons tous ça, même à notre corps défendant. C’est ce qu’avaient brillamment démontré à grands coups de rimes acrobatiques les rappeurs de Nouvel R dans leur morceau « Raccourcis », tiré de leur troisième album en 2015.  Les membres de Nouvel R sont toujours actifs dans plusieurs projets : Badaam, Exop, Les Frères Casquette, La Boucle, Konixion

C’est peut-être aussi ce qui arrive quand on oublie le grand tirage du loto de la vie qui nous a fait naître à un endroit plutôt qu’à un autre. Ou quand on préfère se cacher derrière un drapeau pour ne pas voir que nous sommes pourtant finalement tous·tes les mêmes. Les Thugs n’aimaient pas trop les drapeaux. Ou en tout cas ce qu’ils symbolisaient pour certaines personnes. Ils en ont même fait une chanson en 1993, reprise dix ans plus tard dans une version totalement furibarde par Casper (avec des ex-Carc[H]arias et un futur Daria dedans, et même un futur… Radio Elvis !) dans une compilation hommage. La boucle est bouclée. À nous maintenant de faire chanter nos lendemains.

Rédaction : Kalcha