Grise Cornac dans le grand bain
En 2016, nous avions été séduits par le premier album de Grise Cornac, tout en poésie et en complicité. Il faut dire que ces deux-là se connaissent bien. Couple à la ville et à la scène, ils partagent des émotions depuis plus d’une décennie. Le duo est aujourd’hui de retour avec « Tout Baigne » (sorti le 17 janvier 2020), un disque surprenant, plus charpenté, plus organique. On a donc invité Aurélie alias Grise et Quentin alias Cornac à prendre un café…
Quel était votre état d’esprit au moment de commencer la composition de ce deuxième album ?
Grise : Ça fait dix ans qu’on joue -ensemble ou chacun de notre côté, dans ce groupe ou dans les précédents- un répertoire assez intimiste, qui repose beaucoup sur la fragilité de l’acoustique. Et là on sortait de trois années de tournée pour défendre le premier disque, « L’être A La Nuit » où l’émotion reposait essentiellement sur la combinaison de ma voix + le violoncelle de Quentin. On a donc eu envie d’autre chose, à peu près en même temps, sans trop le verbaliser en fait.
Cornac : On voulait surtout aborder « Tout Baigne » avec en tête le fait qu’on avait ensuite envie de le défendre sur des concerts avec un public debout, et non assis. On voulait parler aux corps, que les gens puissent s’exprimer en dansant. C’était aussi une période où on écoutait pas mal d’autres musiques, finalement assez éloignées de ce qu’on jouait. Ça allait de Patrick Watson à La Chica, en passant par les morceaux de Camélia Jordana avec BabX, du Radiohead ou de la musique classique. Ça nous a sûrement nourris aussi, même si on ne retrouve pas nécessairement les influences directement non plus. J’ai beaucoup écouté de rap par exemple ces dernières années, et ça ne s’entend pas à proprement parler dans ce disque, même si c’est évident que ça a dû guider certains de mes choix d’arrangement, même inconsciemment. J’ai passé par exemple énormément de temps en amont de ce disque à travailler les textures des sons que je voulais utiliser pour les caisses claire de batterie.
Le résultat est en effet très différent du premier album.
Grise : Au départ, ça m’inquiétait un peu, j’avais peur qu’on se perde, de ne plus savoir si on faisait toujours du Grise Cornac. Le fait que les instrumentaux de Quentin soient plus touffus, plus synthétiques, que ce qu’il m’apportait d’habitude m’a obligée à revoir la façon dont j’allais devoir écrire mes textes et poser ma voix, parce que soudainement il n’y avait pas besoin de ma voix partout, je pouvais me permettre des choses plus ramassées, jouer avec les silences. Mais finalement, avec le recul et les premiers retours qu’on reçoit, je pense qu’on a réussi à toujours faire du Grise Cornac, mais différemment.
Vous avez travaillé avec un réalisateur extérieur sur ce disque ?
Grise : Oui, on voulait une troisième personne qui vienne trancher. A deux, les débats et les doutes peuvent être très nombreux ! Surtout qu’on a une pièce à la maison pour créer/répéter, donc on peut ne jamais en sortir. (rires)
Cornac : On s’est rendu compte qu’on a souvent au moins trois versions d’un même morceau qui pourraient tenir la route : une piano + voix, une violoncelle + voix, et une guitare + voix. Et parfois même des versions réarrangées avec de l’électronique. Il faut donc quelqu’un qui nous aide à faire des choix. On a rencontré Julien Chirol en janvier 2018 grâce à une formation « Aide à la réalisation » qui avait lieu à Trempolino à Nantes. On a bossé un titre ensemble, et ça a tout de suite fonctionné entre nous, donc on lui a proposé de travailler sur tout le disque. C’est quelqu’un qui a bossé avec beaucoup de gens (Jane Birkin, Jean-Louis Aubert, Feist, Angélique Kidjo…). Il nous a permis d’aller beaucoup plus loin sur certains morceaux. Parfois même juste en nous décomplexant en amont sur certaines choses, ou en nous inspirant telle ou telle énergie. On a par exemple parfois gardé pas mal de parties que j’avais enregistrées tout seul avec mon micro pourri pour servir de prises-témoins parce qu’il m’avait guidé sur la bonne émotion, le bon chemin pour tel ou tel morceau. Il nous disait souvent qu’il fallait mettre du « chaud » dans notre musique, et ce « chaud », c’est aussi toutes ces petites imperfections qui font parfois qu’une prise est la plus vivante.
C’est aussi la première fois qu’on entend Cornac chanter ?
Grise : Au départ, c’est moi qui devais chanter « Dix ans ». J’ai trouvé la mélodie, mais je n’arrivais pas à la poser comme je le voulais. Ça faisait justement trop chanson française basique, ça ne collait pas avec ce nouvel album. Et Quentin essayait de m’aider en chantonnant pour me donner un exemple. Et finalement, on a compris que c’était lui qui allait le mieux la chanter. C’est moins interprété, il y a de l’humour, plus de groove.
Cornac : C’est sur un morceau comme ça aussi qu’on voit tout le travail qu’a fait Julien à la réalisation, parce que je n’étais pas super satisfait de la maquette qu’on lui a envoyée. Je trouvais encore que ça sonnait un peu trop « chanson ». Et Julien y a ajouté des tas de petites arrangements électroniques, assez discrets et en même temps qui transportent le morceau dans une atmosphère tout à fait différente. Reste à la faire vivre aussi bien sur scène ! (rires)
Est-ce qu’il y a un titre qui a une histoire un peu à part sur ce disque ?
Grise : Il y a notamment « Musicien Zinzin », l’avant-dernier morceau du disque. C’est le premier morceau qu’on a composé ensemble, il y a dix ou quinze ans, avant même qu’on ne crée Grise Cornac. On l’a joué des tas de fois sur scène, dans des formules toujours différentes, mais on ne l’avait jamais enregistré. C’est donc une sorte de lien entre notre passé et notre présent/avenir. J’aime bien cette idée que ce morceau nous accompagne, grandisse avec nous. C’est une sorte de socle. Mais il n’a pas été si facile à enregistrer, il a fallu le réinventer une nouvelle fois. C’est presque comme si on avait fait une reprise d’un de nos propres morceaux.
Cornac : Il y a aussi « Sirocco » qui a une drôle d’histoire. Julien a fini par partir et nous laisser les clés du studio un soir car il sentait bien qu’on allait pas réussir à se mettre d’accord tout de suite. Aurélie avait plusieurs chants et textes possibles sur ce morceau. Et personne n’était tellement d’accord sur celui qu’il fallait choisir. Il nous fallait pourtant vraiment un dixième morceau, et la session au studio s’arrêtait le lendemain. On devait donc trouver la bonne idée dans la nuit. On est restés que tous les deux dans le studio, à essayer des choses. Et on a fini par trouver un terrain d’entente. Aujourd’hui, étrangement, c’est un des morceaux qu’on préfère jouer sur scène !
« Tout Baigne » est disponible : https://smarturl.it/ToutbaigneGC // Grise Cornac sera en concert au Chabada le 13 février 2020.
La chronique de l’album est disponible ici : Grise Cornac – Tout Baigne