In Memoriam Olivier Bulard

21.11.2025

Olivier (Lou) Bulard est décédé à la fin du mois d’octobre, à la suite, comme on dit, d’une longue maladie. Durant les années 1970 et 1980, Olivier était le président de La Belle Excentrique, l’une des 3 ou 4 associations organisatrices de concerts qui, avec quelques « personnalités locales », se sont fédérées en 1988 pour créer l’Adrama (association gestionnaire du Chabada). Leur objectif était que soit (enfin) construite ou aménagée une salle dédiée aux musiques qu’on ne disaient pas encore « actuelles ». Olivier en avait d’ailleurs déposé les statuts en préfecture et la première conférence de presse qui en annonçait la création avait été organisée par lui dans un bar en face de son domicile, rue des Lices. Et puis, quand le Chabada a ouvert ses portes en 1994, Olivier a pris un autre chemin, s’engageant du côté de l’écologie politique, puis siégeant au conseil régional. C’est ensuite de loin qu’il suivait les activités de l’association qu’il avait cofondée et de l’équipement qu’il avait, comme nous tous·tes, attendu.

Sur son compte Facebook, François Delaunay, ex co-directeur du Chabada, a fait un très beau et émouvant récit de sa rencontre en 1981 avec Olivier, ainsi que du compagnonnage qui s’ensuivit. C’est dans le cadre des radios libres nées après l’arrivée de la gauche au pouvoir national que nous nous sommes rencontrés tous les trois et que nous avons croisé les frères Sourice (Eric et Christophe), également organisateurs de concerts, publiant un fanzine et surtout jouant dans différents groupes avant de trouver la formule qui fera date au sein des Thugs.

Olivier était plus âgé que nous, d’une dizaine d’années environ. La Belle Excentrique avait un beau palmarès d’où émergeait particulièrement, en 1977, un concert de Nico, ex-mannequin et actrice et surtout ex-membre « associée » du Velvet Underground pour le premier album du groupe (The Velvet Underground and Nico, 1967). Underground était d’ailleurs le bon terme pour qualifier son univers musical et celui que son association tentait d’incarner par sa programmation (très épisodique faute de temps, de moyens et de salles). Ce n’était ni du rock progressif ni de l’expérimental, mais quelque chose qui flirtait avec un certain jazz européen (Hugh Hopper, de Soft Machine ou Henry Cow formé par Fred Frith, John Greaves et Chris Cutler, entre autres). La Belle Excentrique fut surtout pour moi l’organisatrice du concert éblouissant de Marquis de Sade à La Salle Bellefontaine en 1980. Quelques jours plus tard ils jouaient à Paris pour un concert dont on peut voir des extraits sur le site de l’INA, toujours éblouissants. Le concert d’Angers sera évoqué dans un article ultérieur rédigé par Eudes Velouté (en réalité un des frères d’Olivier) pour Rock’n Folk. Article qui m’impressionna aussi beaucoup. R’n F., c’était autre chose qu’un fanzine…

Nous avons donc animé plusieurs émissions ensemble sur plusieurs radios locales. Olivier intervenait sous le pseudo d’Olivier Lou (F. Delaunay suggère une possible référence à Lou Reed mais une marque de sous-vêtements féminins, célèbre à l’époque, portait aussi ce nom…). Olivier avait des connaissances musicales plus solides que nous. Il avait surtout un anglais de plus grande qualité qui lui permettait de nommer les groupes et leurs titres sans partager le ridicule qui nous recouvrait dans le même exercice. Parallèlement, dans ce début des années 1980, nous avons profité de l’effervescence post punk pour organiser quelques concerts ou événements. F. Delaunay sur son Facebook en rappelle quelques-uns. Je me souviens notamment de celui des Dogs (avec l’association des Sourice brothers, Rock’tail Molotov) suivi d’un after dans l’appartement d’Olivier où, intimidés, nous n’osions pas aborder D. Laboubée et son groupe. Je me souviens aussi d’un concert qui n’avait pas fait recette, celui de Jack Lee (ex-membre du trio pop, The Nerves, auteur du Hanging on the telephone, repris par Blondie sur Parallel Lines, choix un peu pointu sans doute…) et qui s’était terminé en coulisse par la signature de chèques sur nos comptes personnels pour régler ce que nous devions au producteur. Règlements qui n’avaient pas suffit et qui obligèrent Olivier à faire face, seul, à cette dette.

Il y avait chez Olivier une trace de culture bourgeoise où l’art et les artistes ont quelque chose de sacré, justifiant respect et admiration (attitude qu’on trouvait aussi chez Jérôme, son jeune frère qui avait fondé Les Occidentaux, duo pop et mélancolique à l’éphémère carrière). Parallèlement, il s’était construit une vie simple, sobre, d’enseignant du secondaire lui permettant de vivre ses passions : la musique bien sûr, la vie culturelle plus largement, mais aussi comme le rappelle F. Delaunay, les grands espaces du sud de la France et progressivement ses engagements écologiques. J’ai gardé de lui ce qui fut sans doute sa seule affiche de campagne pour la photographie de laquelle, faute d’en porter habituellement une, il m’avait emprunté une veste.

Olivier avait bien connu cette époque où les musiques qui nous importent relevaient d’une contre-culture. Avant la reconnaissance dont elles ont bénéficié depuis une quarantaine d’années, elles vivaient, tout particulièrement en France, de l’engagement de quelques individualités choisissant de vivre pour elles et de sacrifier le reste. Certain-e-s, au long des années, sont quand même parvenu-e-s à se construire des places confortables dans ce domaine. D’autres, comme Olivier, sont resté-e-s dans l’ombre et ont connu différents destins. A l’évoquer, je pense au titre du livre de Nick Toshes, Les héros oubliés du rock’n roll[1]. Associer Olivier au rock’n roll n’est pas, on l’a compris, conforme à ce qu’étaient ses goûts. Mais comme tout ce qui a précédé « l’apparition » de ce genre musical au milieu des années 1950 (et qui fait l’objet du livre de N. Toshes), l’activisme d’Olivier, c’est un pan de l’histoire dont le Chabada et la scène locale sont les héritiers. Pour ma part, Olivier sera toujours l’un de ses héros. Ce modeste texte m’assurant qu’il ne sera pas oublié.

[1] Allia, 2000 (trad. fr.).

Philippe Teillet, président Adrama.