Nineteen Something : Label Rouge

08.09.2016
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Dirty Hands (Archives Nineteen Something)

« Pour que les héros du peuple demeurent immortels… » Tel est le crédo du label Nineteen Something, créé par Eric Sourice, ex-chanteur-guitariste chez Les Thugs et co- fondateur du mythique label Black&Noir, et l’ex-journaliste rock Franck Frejnik. Un véritable acte militant donc, qui vise à documenter un des pans les plus excitants de l’histoire du rock français (la scène noisy rock des années 80s/90s) malheureusement un peu oublié de la génération 2.0. Conversation avec Eric Sourice…

Comment est venue cette idée de label ?

Je connais Franck depuis un bon bout de temps. On a toujours été sur la même longueur d’onde, notamment sur la façon de voir la production indépendante, et on partage pas mal de goûts musicaux. On a connu cette période des années 80s/90s de l’intérieur, moi dans Les Thugs et lui comme journaliste entre autres. On a fait le même constat qu’il n’y avait finalement pas beaucoup d’informations ni de choses à écouter sur Internet pour tous ces groupes français qui chantaient en anglais qu’on avait adorés à l’époque. On trouvait que ça manquait. Le catalogue des Thugs a été réédité en CD il y a quelques années chez Crash Disques. Les vinyles et le digital devaient suivre, mais pour X raisons, ça ne s’est pas fait. Et on a donc vu ça comme une opportunité pour démarrer le label Nineteen Something, qui tire donc son nom d’une chanson des Thugs. On tient à mettre le plus d’infos à disposition du public (des bios, des articles de presse de l’époque, etc.) et à faire en sorte que les disques soient dispos sur toutes les plateformes de téléchargement légal/streaming. On réédite souvent la discographie complète des groupes (à part les Burning Heads dont on a les droits que pour le premier album), plutôt qu’en faire des compilations. C’est l’avantage du digital, ça amoindrit les frais de production, donc tu peux sortir plein de choses. Même si on sort aussi des supports physiques pour quelques références.

Il y a beaucoup de groupes angevins…

Au départ, l’idée n’était pas forcément de rééditer tout le catalogue du label Black&Noir. Même si on va finir par y arriver si on continue comme ça, c’est vrai. (rires) C’est sûr que ça a aussi été une question de commodité. Ca ne m’a pas pris beaucoup de temps pour retrouver Casbah et lui demander l’autorisation de ressortir les disques du Casbah Club. J’ai juste eu à chercher son numéro sur mon téléphone. Pour d’autres groupes, c’est plus compliqué. On va bientôt ressortir la discographie des Rats, il a fallu retrouver leur trace. Parfois aussi, les membres des groupes ne se sont plus parlé depuis des années, sont en froid, etc. Il faut l’autorisation de tout le monde, ça peut être plus long à aboutir. L’idée, c’était vraiment de ressortir les groupes qu’on trouvait essentiels, qu’on peut réécouter aujourd’hui et toujours trouver ça pertinent. Or, il se trouve que pour nous le Casbah Club et les Dirty Hands ont été deux groupes qui ont compté à la fin des 80s/début 90s sur la scène française. On avait en plus la possibilité de sortir des enregistrements qui dormaient depuis un bail et que très peu de gens avaient eu la chance d’entendre, même à l’époque. Il y a eu beaucoup de groupes super intéressants à Angers dans ces années-là. C’est donc normal qu’on ait envie de les rééditer aujourd’hui.

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Casbah Club (Archives Nineteen Something)

Vous avez également sorti pas mal de groupes qui sonnent très garage-punk 60s façon The Sonics…

Oui, c’est un genre qu’on affectionne beaucoup. C’était une grosse influence des Thugs. En fait, dans les années 80s, la scène indé française se découpait un peu en deux chapelles bien distinctes : les groupes alternatifs qui chantaient en français comme Bérurier Noir, Ludwig Von 88, Les Garçons Bouchers, etc. qui venaient bien souvent de Paris. Et une scène qui chantait en anglais avec les oreilles beaucoup plus axées sur ce qui se passait de l’autre côté de l’océan Atlantique. Et ça, c’était plus des groupes de province (Le Havre, Rouen, Angers…). Il y a eu quelques groupes qui réussissaient à faire la jonction, comme les Rats justement, qui chantaient en français mais avec des influences très rock’n’roll à l’américaine. Du coup, c’est vrai que c’est une influence qu’on retrouve chez pas mal de groupes qu’on a eu envie de ressortir comme les Skippies, Les Soucoupes Violentes, les Maniacs… Ces derniers étaient Suisses, mais on peut quasiment les considérer comme un groupe français. On a beaucoup tourné avec eux avec Les Thugs. Ils ont sorti tous leurs disques sur des labels français. C’était vraiment un groupe important.

Avec Hydrolic Systems, que vous venez de sortir, le son devient plus dur. C’était représentatif du tournant des 90s ?

Oui, c’est le cas aussi avec Parkinson Square qu’on va bientôt ressortir. Je trouve que ce sont deux groupes qui étaient quand même pas mal en avance sur leur époque. Surtout les Hydrolic Systems. C’est dingue de réécouter ça maintenant. Je trouve que le groupe pourrait se reformer aujourd’hui et jouer, ça collerait tout à fait au son de notre époque. Ils avaient une sorte d’univers psychédélique, mélangé à un son bien hardcore noise. C’était finalement très avant-gardiste. Comme le Casbah Club, Hydrolic Systems n’avait quasiment rien sorti pendant leur période d’activité : un 45-t et un titre sur une compile. On a retrouvé cinq supers inédits à mettre sur le CD.

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Hydrolic Systems (Archives Nineteen Something)

Est-ce que le label va s’ouvrir sur d’autres esthétiques ?

Avec Franck, on a beaucoup de goûts en commun, mais on a aussi nos spécificités. On va donc sans doute chacun apporter nos sensibilités. Par exemple, on doit bientôt ressortir l’album des Oidgts, formé par un ancien membre de Hydrolic Systems, avec une choriste de Bérurier Noir et un musicien de Ludwig. C’était un projet avec des machines, des influences hip hop et ragga/dub, un peu comme Dirty District à l’époque. On se laisse un peu portés par nos envies. On fait ça avant tout pour se faire plaisir. On n’a aucune pression.

D’ailleurs, vous avez plutôt l’impression d’être suivi par des gens nostalgiques de cette époque ? Ou bien par des jeunes qui ne l’ont pas connue ?

Pour le moment, ça reste assez confidentiel. En terme de ventes, c’est sur que les gens viennent surtout pour les rééditions du catalogue des Thugs. Le site Internet n’existe que depuis un an et demi, et on a déjà plus d’une quarantaine de références. On sait que ça prend du temps pour que les gens nous identifient. En même temps, comme je le disais, on a aucune pression. On n’est pas pressé par une quelconque actualité, une tournée, ou je ne sais quoi. La musique est là, elle pourra se vendre sur le long terme. On fait un travail d’archivistes. C’est difficile de savoir à qui on s’adresse vraiment. Je pense que pour l’instant ce sont surtout des gens qui ont vécu cette époque et qui sont contents de pouvoir réécouter des choses de leur jeunesse. Mais on a aussi parfois des messages de gens qui n’ont jamais connu cette scène et qui nous remercient de la découverte. Plus on aura un catalogue important, plus on aura du flux sur le site. Et l’idée, c’est que les gens viennent pour un groupe et en découvre un autre au passage.

Plus d’infos et du son ici: nineteensomething.fr

 

CHRONIQUE:

Hydrolic Systems – S/T (Nineteen Something)

hydrolic-systems_coverÀ Angers, on a toujours été fort pour avoir des groupes qui splittent avant d’avoir obtenu la reconnaissance qu’ils méritaient. Hydrolic Systems -lancé par deux ex-Seconde Chambre- n’a existé que trois ans (1990-1992) et n’avait sorti jusqu’ici qu’un seul 45-t sur Black&Noir + un titre sur une compile du même label. Il y avait pourtant des enregistrements jamais sortis qui traînaient ici ou là. Le label Nineteen Something a eu la bonne idée de leur donner une seconde chance. Ce disque compile donc les trois morceaux édités à l’époque + cinq inédits du trio (qu’on allait plus tard recroiser individuellement dans un paquet de groupes de chez nous: Casbah Club, Cut The Navel String, Zenzile, Lo’Jo, Sweetback…). Hydrolic Systems avait négocié le virage des 90s à la même vitesse que les grands noms du hardcore et de la noise américains (Fugazi, Jesus Lizard…). Le son est donc déjà super dur, brutal, dissonant. Les trois coups de boule qui ne dépassent pas les deux minutes font donc leur petit effet. Mais le groupe avait également un vrai sens de la composition personnel, avec des influences plus larges que la simple scène hardcore/post-hardcore. Les trois «Magouné» sont à ce titre de pures merveilles noisy-psyché qu’un paquet de groupes post-rock de la décennie suivante pourraient revendiquer. Bref, ça valait le coup d’attendre.

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