Extrait de la pochette de l'EP "Entrée, plat, dessert" du rappeur Double D

VALEURS AJOUTÉES

16.04.2025

En 2017, la chanteuse Katy Perry ajoutait les trois mots suivants à sa bio sur ses réseaux sociaux : « Artist. Activist. Conscious. » Et la pop star a effectivement souvent affiché des positions progressistes et philanthropiques en faveur notamment de la protection de l’enfance, du droit des femmes et des minorités LGBTQ+… Mais il y a quelques jours, la même Katy Perry est devenue la risée des mêmes réseaux sociaux en participant à un vol spatial touristique dans la fusée d’un milliardaire : un petit tour dans l’espace pendant 11mn pendant lequel l’Américaine a généré à elle seule 15 tonnes de CO2, comme l’ont calculé les journalistes de Libération, soit ce qu’elle aurait normalement dû émettre en huit années… Aïe. C’est une chose de revendiquer des valeurs sur les réseaux, derrière un micro ou dans une note d’intention. Et c’en est une autre de réussir à les incarner en toute cohérence sur la longueur. Nous sommes en effet tous et toutes -et peut-être plus encore celles et ceux qui tombent sur la chanteuse- susceptibles de nous compromettre un jour par méconnaissance, par excès de zèle, par appât du gain, par peur ou par simple envie de se balader à 100km d’altitude. Difficile de juger donc. Et pourtant j’ai la désagréable sensation que c’est ce flou entre les paroles et les actes qui nous plonge chaque jour un peu plus dans un état de torpeur collectif, de perte de sens généralisé, qui nous éloigne justement peu à peu des valeurs qu’on cherchait à défendre au départ… C’est le syndrome de la grenouille dans l’eau chaude. Comment se réveiller avant qu’il ne soit trop tard ? Les artistes angevin·es dont je vais vous parler aujourd’hui connaissent certainement ces mêmes paradoxes, mais vous devriez plus probablement les trouver à polluer la planète à bord d’un vieux Renault Espace entre deux concerts, plutôt que dans la fusée d’un milliardaire…

Encore que le nom de notre premier candidat pourrait prêter à confusion. Quoi qu’il en soit, DJ Spok pourra de toute façon mettre le même gros zbeul, dans un bar du coin ou dans la salle des commandes de l’Enterprise, avec son nouveau track qui fleure bon la drum’n’bass à l’ancienne. Et pour cause, il accueille un invité de marque en la personne du toaster Flinty des Ragga Twins, mythique duo anglais de la scène ragga-jungle du début des 90s. Attendez-vous donc à du BPM en folie, des lignes de basses qui font les montagnes russes, et une frénétique envie de sautiller partout.

On reste d’ailleurs en altitude avec Scenius dont le récent single s’appelle « Funny Sky ». Et maintenant qu’on en parle, on pourrait même facilement imaginer un remix drum’n’bass ou dubstep de ce nouveau titre à l’écoute de ces lignes de basse saturées, sans parler de la rythmique pas si éloignée du dancehall jamaïcain. Le duo franco-anglais nous avait jusque-là plutôt habitué·es à des titres mid-tempo entre electro-pop et synth-wave, mais ce mélange fonctionne à la perfection. Une partie du morceau nous ancre au sol quand les mélodies de voix nous transportent vers des sommets vertigineux.

Faire des va et vient entre basses telluriques et envolées aériennes, c’est presque le résumé de la carrière de Zenzile. Et donc de Zentone, leur projet collaboratif avec les Lyonnais de High Tone. Comme vous pourrez à nouveau le constater en écoutant les deux live-sessions ci-dessous de leur deux derniers singles en date, le très spiritual reggae « Messenger » et le deep dub « Tricky City ». Ne manquez pas la prochaine tournée !

© N. Djavanshir

Dans le public de Zentone, il est fort à parier que vous croiserez Nerlov. Et pas seulement parce que le chanteur moustachu a déjà collaboré avec Zenzile sur un single pendant la période COVID. Nerlov vient d’ailleurs de sortir une nouvelle très bonne collab, avec cette fois l’excellent chanteur lillois Yolande Bashing. « J’irai » est à classer dans la même playlist que « C’est raté », « À l’envers » ou « Prophéties », à savoir parmi les titres dansants et tristes à la fois de Nerlov, souvent ses meilleurs si vous voulez mon avis. Il est donc fort à parier à nouveau que vous entendrez une foule hurler ce refrain désabusé pendant les concerts tout en trépignant sur la basse quasi post-punk de ce nouveau morceau.

On peut aussi imaginer que Nerlov kiffera ce nouvel EP de Double D. Parce que ça parle cru et brut, comme l’apprécie le bonhomme. Pas de chichis, des gros mots, de la punchline de haute volée, une voix caillouteuse, Double D est le roi de l’egotrip millésimé façon Booba période Lunatic. Sur des prods sombres de K.Oni, le beatmaker des Rennais de Micronologie, Double D s’amuse ainsi en trois temps quatre mouvements (Entrée, Plat, Dessert + Digestif) dans cet EP disponible en streaming et en vinyle (à commander ici). Au moins, on ne pourra jamais lui reprocher de polluer la planète avec son bilan carbone de tournée puisque le rappeur se réserve pour le studio et ne devrait pas fouler de scènes avec ce projet. On devra donc juste jouer ce disque un peu plus souvent…

© Œil d’artiste

Estim aussi vient du rap. Mais le jeune homme ne fait rien comme les autres. Déjà il ne sort des titres qu’au compte-goutte (trois en deux ans, sur sa chaîne YouTube officielle) quand ses collègues postent souvent plus vite que leur ombre. Ceci dit, on comprend vite ce rythme singulier au vu de l’énorme travail et du sens du détail à la limite de la maniaquerie dévolus à chaque nouveau morceau, avec des clips toujours très chiadés, et beaucoup de soin dans les arrangements / compositions. Chaque morceau est aussi une véritable opération à cœur ouvert au cours de laquelle Estim livre sans aucune pudeur (et donc sans aucune compromission) ses sentiments, ses angoisses, son mal-être. « Ce soir-là » ne fait pas exception, tout en s’éloignant du rap pour aller vers une sorte de chanson/rock qui fait le récit d’un soir pas comme les autres pour son auteur. Bref, Estim fait un peu office d’extraterrestre dans le monde d’apparences d’aujourd’hui, mais peut-être que Katy Perry aura ainsi eu l’occasion de le croiser au milieu de son voyage dans les étoiles ?

Rédaction : Kalcha