Photographe de concert, bonjour la galère (titre h1)
Cécilia Sanchez Publié le 29/07/2015. Mis à jour le 29/07/2015 à 11h10. (titre h2)
En 2008, au festival des Vieilles Charrues, les photographes ont collectivement déposé leurs appareils pour protester contre les exigences d’Etienne Daho.
Le contrôle de l’image est devenu une obsession pour les artistes. Entravés par des contrats, menacés par des gros bras, les photographes voient leur liberté se réduire comme peau de chagrin. Et l’information se muer en communication.
« Les photographes ne sont plus libres de faire leur métier », assène le communiqué. La raison du coup de gueule du syndicat suisse des journalistes Impressum ? Le concert de Johnny Hallyday, le 23 juillet, au Paléo Festival de Nyon (Suisse), explique la Tribune de Genève. Les photographes accrédités ont appris le jour même qu’ils ne l’étaient plus – seul le photographe officiel du festival étant admis.
Pour se justifier, le management a mis en cause la dangerosité des effets pyrotechniques sur scène. « C’était seulement une excuse, car ils n’ont été utilisés qu’à la fin du concert », explique Philippe Maeder, photographe professionnel et président de la section photographie d’Impressum. Le syndicat dénonce une « dérive visant à contrôler de plus en plus le travail des médias ». Finalement, cédant aux photographes en colère, le Paléo a autorisé certains professionnels à prendre des clichés depuis une nacelle accolée à la régie. « Mais loin de la scène et derrière le public, ce qui les a empêché de faire leur travail », dénonce Philippe Maeder. « Alors que depuis la fosse, le public peut prendre de très bonnes photos avec un iPhone. D’ailleurs, elles étaient en ligne sur les réseaux sociaux cinq minutes après le début du concert. »
“Peu d’entre eux osent évoquer le sujet, de crainte de perdre leur accréditation pour l’édition suivante” (titre h3)
C’était une première pour ce festival. Mais le cas est courant et les restrictions se multiplient pour les photographes. « Et peu d’entre eux osent évoquer le sujet, de crainte de perdre leur accréditation pour l’édition suivante », explique Sylvain Ernault, qui a écrit plusieurs articles sur ce thème pour le webzine La Déviation.
Pendant les concerts, l’autorisation de photographier est en général limitée aux trois premiers morceaux. Mais parfois, les artistes ne jouent pas le jeu, « restent dans l’ombre à dessein ou mettent un chapeau, ce n’est pas innocent », raconte Philippe Maeder. Certains imposent même des directives esthétiques. Etienne Daho, par exemple, n’autorise que les photos de son profil gauche (!) et interdit les gros plans. Jusqu’à décider, lors d’un concert aux Vieilles Charrues, en 2008, d’interdire toute photo, car certains photographes n’avaient pas obtempéré. Frédéric Tanneau, photographe à l’AFP, qui était présent, raconte que « cette fois-ci, les photographes avaient protesté en déposant leurs boîtiers sur le sol. Etienne Daho avait fini par revenir sur sa décision… »
Lady Gaga a décidé de fournir à la presse une photo unique
Boycotter les photographes est effectivement le moyen le plus sûr d’être à son avantage. A Montreux, cette année, Lady Gaga a décidé de fournir à la presse une photo unique, choisie par ses soins. Les agences ont du coup refusé de la diffuser, arguant qu’elle était certainement retouchée sur Photoshop. L’agent de la chanteuse a également imposé un format de cadrage étroit aux caméramans, pour affiner la silhouette de sa star.
Ceux qui interdisent toute photographie sont de plus en plus nombreux, sans distinction de genre. Cela concerne aussi bien le groupe de hard rock américain Mötley Crüe au Hellfest, que Guns ‘n’ Roses, Lionel Richie et Bob Dylan aux Vieilles Charrues… Et même quand la prise de vue est autorisée, les photographes ne sont jamais à l’abri d’un revirement. Toujours aux Vieilles Charrues, la manageuse de Tom Jones les a chassés, sous prétexte qu’ils n’avaient pas renvoyé les contrats 48 heures avant le début du concert. Le hic, c’est qu’eux ne les avaient eus en main que… deux heures avant.
Cinq jours d’ITT pour une journaliste du “Télégramme”
Et gare à ceux qui oserait défier ces interdictions. Mathieu Ezan, un des photographes officiels du festival des Vieilles Charrues, raconte que certains groupes envoient des équipes de sécurité patrouiller pendant les concerts. En avril, deux agents de sécurité ont ainsi été reconnus coupables de violences sur une journaliste du Télégramme, à la suite d’un concert d’Olivia Ruiz au festival de Saint-Nolff, en 2010. Au procès, ils ont affirmé « avoir été réquisitionnés par le régisseur d’Olivia Ruiz pour empêcher une personne qui filmait dans le public ». L’accréditation de la journaliste lui a été retirée et elle a été violemment empoignée, ce qui lui a valu un hématome de 20 cm sur le bras et cinq jours d’incapacité totale de travail.
Ce n’est pas la seule victime de la sécurité musclée des festivals. En 2014, Sylvain Ernault couvrait les Vieilles Charrues pour Chérie FM. Sur le tableau de bord des photographes de l’espace presse, il était bien indiqué que les photographies pour le concert de Thirty Seconds to Mars étaient strictement interdites. Alors qu’il prenait quelques clichés depuis la fosse avec son « humble reflex équipé d’un objectif d’entrée de gamme », des agents l’ont empoigné, l’ont traîné dans les coulisses et ont exigé qu’il efface ses photos, ainsi qu’il le raconte sur son site.
–M– ou Stromae rejettent les photographes d’agence (titre h4)
Sylvain Ernault estimait pourtant avoir la loi pour lui : « le photojournaliste, dans le cadre de son activité, ne peut se voir refuser l’accès à un événement seulement pour des questions de sécurité du public ou des artistes, ou de capacité d’accueil, en vertu des articles L333-6 et suivants du Code du Sport. […] La jurisprudence considère que les artistes, dans le cadre de leurs activités professionnelles, donnent leur autorisation tacite pour la diffusion. » Pas facile à faire valoir lorsqu’on se retrouve face à des gros bras…
Une autre tendance qui se développe, c’est la chasse aux agences. Au concert de Johnny Hallyday au Paléo, aucun photographe d’agence de presse n’était autorisé sur la fameuse nacelle. Frédéric Tanneau, de l’AFP, habitué des Vieilles Charrues – il a couvert dix-sept fois le festival – confirme que les conditions de travail se sont largement dégradées. Muse, par exemple, a refusé toute accréditation aux agences, mais a autorisé le média d’une municipalité locale. –M– ou Stromae rejettent aussi les photographes d’agence. « Ils seraient pourtant sûrs d’avoir de la qualité, mais ils préfèrent contrôler la vie de leurs photos, qui avec les agences circulent dans le monde entier », explique Frédéric Tanneau.
“Souvent, les managers arrivent juste avant le concert avec des contrats en anglais”
Pour faire leur travail, les photographes finissent par négocier. Et de plus en plus souvent, cela veut dire se résoudre à signer des contrats draconiens en échange de l’accès à la fosse. Certains agents se réservent un droit de regard sur les photos avant publication, comme pour le producteur électro Rone ou le groupe de rock The Popopopops. « Souvent, les managers arrivent juste avant le concert avec des contrats en anglais », témoigne Philippe Maeder « et coincent les photographes indépendants qui n’ont d’autre choix que d’accepter pour avoir des images ». La pratique s’est généralisée, jusqu’aux groupes débutants : « Alors que Joan Baez n’imposait aucune condition, Feu! Chatterton réclamait un contrat avec un droit de regard, explique Mathieu Ezan. Mais ça dépend surtout du management et souvent, les artistes ne sont même pas au courant. »
Certains, comme Frédéric Tanneau, refusent de couvrir ces concerts, si les photos doivent être validées par le management, car il ne fait pas de « communication » : « vu l’allure à laquelle les restrictions s’accumulent, on va bientôt nous demander d’effacer les rides et les imperfections avant publication ».
En Norvège, festivals et rédactions ont signé une charte (titre h5)
Mais l’atteinte la plus lourde à la profession revient sans doute aux contrats forçant les photographes à céder les droits d’exploitation à la production de l’artiste. Dans ce cas, les professionnels perdent la possibilité de revendre ensuite leurs clichés ou même de les placer sur leur portfolio. Un photographe britannique, James Sheldon, avait dénoncé cette pratique dans une lettre ouverte, et par la même occasion, le peu d’éthique de Taylor Swift – au moment où la chanteuse se plaignait des pratiques d’Apple Music. Le contrat imposé par le tourneur de la star, Firefly Entertainment Inc, précise en effet qu’il « a le droit perpétuel et international d’utiliser (et d’autoriser d’autres à utiliser) n’importe quelle photographie dans n’importe quel but non lucratif (dans tous les médias et formats), y compris mais pas limité aux publicités et à la promotion. » Une pratique illégale en France : Sylvain Ernault rappelle que selon le code de la propriété intellectuelle, « une cession de droit ne peut pas être concrétisée avant la réalisation des clichés ».
A force de vouloir contrôler leur image, les artistes réduisent leurs concerts à de la promotion, dit Philippe Maeder : (titre h6)
« Mais ce qui fait l’histoire, ce sont les expressions. Les images imposées sont moins consistantes. » Si les professionnels ne sont pas optimistes, certains pays comme la Norvège ont pourtant réussi à réguler le problème. Les rédactions ont signé une charte avec les festivals, qui stipule que ceux qui veulent contrôler les images seront boycottés. Ce type d’entente peut-il s’étendre à d’autres pays ? Car en attendant, comme le rappelle Frédéric Tanneau, « c’est le public qu’on prive de l’information. »