Extrait de la pochette de l'album "Fihisa" de Damily

NON-BINAIRE ET UN PEU PRIMAIRE

05.03.2025

Depuis que les réseaux sociaux ont envahi nos vies, il faudrait prendre position sur tout, tout de suite, tout le temps. Si vous ne dîtes pas immédiatement que vous êtes pro-, tout le monde pense déjà que vous êtes anti-. Ou vice-versa. Nous sommes ainsi tous·tes catalogué·es de force dans un camp, opposé à l’autre, et pourtant bien obligé·es de vivre ensemble. Il n’y a plus aucune place pour la nuance, la réflexion, le débat apaisé. On leur préfère des grandes gueules de tous bords qui fanfaronnent sur les plateaux que telle ou telle chose serait réglée en moins de deux s’ils•elles étaient aux manettes. On subit pourtant actuellement ce que ces personnes font quand elles arrivent aux manettes, et ça n’est pas très glorieux. Je fais donc aujourd’hui mon coming-out intellectuel : je suis non-binaire, et j’en suis fier. Je revendique mon droit à hésiter sur des sujets qui nous dépassent bien souvent tous et toutes, à reconnaître que j’ai besoin de temps et d’informations recoupées pour me construire un véritable avis et que je ne me retrouve absolument pas chez les pro- et souvent encore moins chez les anti-. Sauf peut-être pour ce qui touche à la scène angevine, où là je suis parfois un peu primaire :  on a les meilleurs groupes de l’univers, et basta.

Y a qu’à voir Limboy. Le super-groupe (constitué de membres de Eagles Gift, Tiny Voices et Bermud) sort très prochainement son deuxième album sur le label anglais Stolen Body Records (à qui on devait déjà le premier LP de Gondhawa chez nous), et les deux extraits d’ores et déjà disponibles sur le Net laissent penser qu’on va se prendre un putain de bon disque de post-punk hardcore noise à la Viagra Boys, Metz ou Idles en pleine poire. Pour celles et ceux qui préfèrent leur baffe en direct, Limboy sera sur la scène du Joker’s Pub le 14 mars prochain. Et ça devrait ressembler au coup de boule que Zelensky s’imagine mentalement coller à Trump depuis leur dernière entrevue…

Il y a aussi un nouveau single disponible du côté de chez Lowpkin. « Vacancy » est encore un bel exercice d’équilibriste entre power-dub-electro et post-rock noisy, parfaitement maîtrisé par le trio. Vous aurez donc le choix entre vous agripper aux guitares cristallines ou bien à la rythmique tellurique, mais vous vous retrouverez finalement tous et toutes au même endroit, au milieu des étoiles dans un état légèrement second.

Pour retrouver vos esprits, vous pourrez redescendre en douceur sur « Patience », le nouveau single de Kamango, tiré de son nouvel EP, « La vie est presque trop belle ». Sous couvert d’une histoire autour d’un triangle amoureux un poil convenue, le chanteur choletais creuse des pistes intéressantes pour son RnB, incluant des influences trap, jazz et soul qui apportent une véritable richesse musicale à son propos. Écoutez par exemple « L’Amour nous sépare » en fin d’EP, qui a tout pour faire une grande chanson, quelque part entre Yamê et Childish Gambino.

On était dans la douceur, restons-y un moment . Deuxième single pour le nouveau duo Split Cake qu’on vous a présenté dans notre dernier article. Ce « Lines we drew » explore un versant plus folk que son prédécesseur, comme si Portishead s’était réuni autour d’un feu de bois. Une jolie ritournelle, un peu tristounette, qui vous accompagnera tout le long de la journée sans trop la plomber quand même. Comme sur le premier single, la rythmique est assurée par les patrons Kham Meslien à la contrebasse et Béranger Vantomme aux percussions.

Ledit Béranger Vantomme vient justement de publier un extrait de son concert solo en première partie des Lo’Jo au Grand Théâtre d’Angers en novembre dernier. Seul derrière sa batterie, avec juste quelques effets dub balancés depuis la console par Vincent Erdeven (clavier de Zenzile et du Erdeven Spiritual Ensemble, dont lequel joue également Béranger), le bonhomme nous embarque dans une transe cosmique digne d’une cérémonie vaudoue où les patterns se répètent, s’entremêlent, se confondent, se superposent et finissent par prendre la place de votre rythme cardiaque. Superbe !

Vous reprendrez bien un peu de transe ? C’est un autre batteur/percussionniste qui nous propose un voyage iconoclaste. Charles Dubois s’est associé au plasticien François Dufeil pour proposer cette collaboration entre musique improvisée et art contemporain intitulée « Cloches sous pression ». L’instrumentarium utilisé pour cette performance a été conçu à partir d’objets métalliques de récupération issus du domaine de la plomberie, méticuleusement découpés, assemblés ou fondus. Le duo en a sorti un album, « Cu2+ Vases d’expansion » (dispo sur bandcamp), mais également une live-session, peut-être plus parlante pour les néophytes.

Lui ne tape pas sur des bambous, mais c’est quand même un numéro un. Il joue même parfois du piano debout, mais aussi assis. En fait il joue du piano tout le temps, partout. Lui, c’est Camilo, et vous l’avez peut-être déjà vu par exemple animer les dernières soirées « Sors Tes Covers » du Chabada et s’incruster en loucedé dans tous les groupes à l’affiche. Mais le bonhomme est également derrière les karaokés les plus fous de la ville, au service des danseur·euses de salsa avec Los Camineros ou derrière le jazz psychédélique du Erdeven Spiritual Ensemble (avec Vince et Béranger, donc). Camilo vient de sortir un single sous son nom, intitulé « Pasa la botella », mélange de kompa haïtien et de musiques cubaines et jamaïcaines. À écouter fort, en dansant lentement, si possible à moins de 3cm du corps de votre partenaire. Quand les enfants sont couché·es.

On reste au soleil, mais on change d’océan et d’hémisphère. Direction Madagascar avec le guitariste Damily, retourné au pays en 2023 pour l’enterrement de sa mère, en plein passage du cyclone Freddy. À Madagascar, toutes les épreuves de la vie s’accompagnent en musique, et le tsapiky est là pour soulager les cœurs. Damily est le Jimi Hendrix de cette musique fiévreuse, censée chasser la mélancolie des âmes des danseur·euses. Ce nouvel album est donc le résultat de ces sessions d’enregistrement à l’arrache, quand les conditions climatiques le permettaient (8 jours de sessions d’enregistrement étaient d’abord prévus, finalement réduits à 10 heures de prises sur le vif, de jour comme de nuit), expliquant sans doute que les morceaux sont sensiblement plus courts que ce qu’on trouvait parfois dans les autres albums de Damily. Mais le sentiment d’urgence n’en est que plus fort, et on découvre encore dans ce « Fihisa » une porte d’entrée vers des niveaux de conscience insoupçonnés. Un disque que les dirigeants de ce monde seraient bien inspirés d’écouter en boucle, donc.

Rédaction : Kalcha