J’avais quinze ans quand le Chabada a investi le site des anciens abattoirs de la ville d’Angers. Depuis, il est là, à mes côtés, comme le témoin silencieux de chacune des étapes de ma vie. Son trentième anniversaire est l’occasion pour moi de faire le récit de notre aventure commune…
Pendant une trentaine d’années, à la louche, la vie semble n’être qu’une lente et plaisante progression vers un avenir radieux – ou plutôt vers l’idée que l’on se fait généralement d’un avenir radieux : un boulot gratifiant avec séminaires semestriels à Paris ou à Lille, une case à cent quatre-vingt-dix mille sans les travaux, décorée selon les standards du moment et un couple à la fois indépendant, complice et furieusement hermétique à la notion même de crise. Mais un jour, en un claquement de doigts, on a quarante ans, une vague envie de changer de job, un genou qui siffle pendant le sport et l’esprit encore contrarié par les mots échangés la veille au sujet de l’organisation du prochain week-end chez les beaux-parents.
Pendant les cinq années qui ont suivi la naissance de Louise, qui nous a amené·es à stopper séance tenante toute activité musicale, Marie et moi ne nous sommes plus rendu·es ensemble au Chabada. Nous étions réticent·es à l’idée de la laisser entre d’autres mains le temps d’une soirée, alors même que nous passions déjà toutes nos journées loin d’elle. Aussi, chacun de notre côté, nous sommes tour à tour aller applaudir The Dø, Brigitte, Jain, Ko Ko Mo, Oxmo Puccino, Feu! Chatterton, Thylacine, Juliette Armanet, Asaf Avidan, Hyphen Hyphen, Eddy de Pretto, Angèle ou Delgrès. La plupart du temps, nous y sommes allé·es avec un ami ou un collègue de travail que nous avions réussi à arracher à leur routine domestique contre la promesse de rentrer pas trop tard. Autour de nous, le public rajeunissait. La programmation, elle, épousait une actualité musicale dont je commençais à être dangereusement ignorant. La place que j’occupais autrefois au bar était investie par des étudiants qui parlaient si fort que j’avais bien des difficultés à mener une discussion construite avec mon acolyte du soir au sujet de l’envolée du marché de l’immobilier ou du compte personnel de formation. Et, bien souvent, je regrettais que les places assises fussent déjà toutes occupées au moment où je pénétrais dans la grande salle. En somme, je perdais le fil, je commençais à rouiller et il était temps que je m’auto-administre un remède de cheval.
Pour toutes ces raisons, participer au millésime 2019 de Sors Tes Covers fut très vite pour moi une absolue nécessité. J’ai convaincu Marie de reformer notre groupe et de remonter sur la scène du Chabada – peut-être pour la dernière fois. Le thème – Goodbye England – m’inspirait : j’ai toujours rêvé d’endosser pour quelques minutes le costume de ces bassistes de légende que sont Stuart Zender, Paul Turner, Chris Wolstenholme, Sting, Paul Simonon, Dougie Thomson ou John Talyor. Marie et moi avons réussi à transmettre notre enthousiasme à Nico et Laurent, nos anciens guitariste et batteur, ainsi qu’au jury de sélection, qui nous a une nouvelle fois ouvert les portes du paradis. Si bien que le 21 décembre 2019, au moment même où Louise s’amusait avec une baby-sitter que nous remercions encore, et à quelques semaines seulement du coup de frein mondial qui changerait tout et pour toujours, nous nous sommes offert un inoubliable baroud d’honneur devant les huit-cent personnes – jeunes et moins jeunes – heureuses d’être ensemble à cet instant-là.
LIRE PARTIE 1 – Le Chab et moi, trente ans déjà : 1994-1999 !
LIRE PARTIE 2 – Le Chab et moi, trente ans déjà : 2000-2004 !
LIRE PARTIE 3 – Le Chab et moi, trente ans déjà : 2005-2010 !
LIRE PARTIE 4- Le Chab et moi, trente ans déjà : 2010-2013 !
Rédaction : Stéphane Mouton
La passion de l’écriture est un jour tombée sur les épaules de Stéphane ; c’était un jour de beau temps, quoiqu’un peu frais pour la saison. D’abord attiré par la nouvelle, il a finalement commis l’irréparable : écrire un roman, aujourd’hui auto-édité. Il est par ailleurs photographe bénévole au Chabada et musicien à ses heures perdues.