DES MESURES ET DES CADENCES

Crédit: Fred Lombard

Vous avez déjà écouté un disque dont vous ne comprenez pas pourquoi ni comment il ne résonne pas déjà dans toutes les chaumières du monde entier ? C’est ce qu’on ressent avec la musique de San Carol depuis déjà trois albums, et encore plus flagrant avec cette dernière fournée. « Houdini » sort le 19 octobre, et vous l’aimez déjà sans le savoir. Rencontre avec Maxime Dobosz, âme, cœur et cerveau de San Carol.

On n’avait plus trop entendu parler de San Carol depuis la fin 2016. Est-ce que tu avais fait une croix sur le projet avant de changer d’avis? Ou bien était-ce juste une très longue maturation?

Je ne sais pas si en réalité deux années peuvent être considérées comme une période longue. On est dans une époque où tout va très vite et tout doit aller très vite, c’est d’une angoisse que je ne m’explique pas. Au fond, deux ans, c’est si peu de choses. Deux semaines après notre retour d’Austin, nous sommes entrés en studio en sachant que nous voulions faire un disque qui nous rendrait fiers des années durant, on a simplement pris le temps de faire notre belle musique. Qu’est-ce-qui nous obligerait à tout faire vite et ne pas prendre le temps de respirer, penser les choses ? Je déteste la superficialité, prendre le temps d’écrire, expérimenter à notre échelle, profiter de jouer ensemble et construire une œuvre que nous aimons, ce n’était pas une option, c’était vital.

Je trouve ce nouveau disque globalement plus « pop » (ou au moins plus mélancolique?) que les deux précédents. As-tu l’impression que ta parenthèse chez Big Wool a libéré des choses?

Je ne pense pas, car le processus d’écriture entre les deux groupes est très différent si ce n’est opposé. Même si ce n’est pas ce que tu dis, je ne crois pas que les deux projets se ressemblent et qu’ils expriment ni la même chose ni ne l’expriment de la même manière. Par contre, « Houdini » est clairement un disque très mélancolique et introspectif, ces chansons me sont très intimes et traitent de sujets importants pour moi. Cependant, j’ai essayé de faire que ces chansons ne soient pas autocentrées, au fond, on s’en fiche pas mal des malheurs et questions de Monsieur Maxime Dobosz. Ce sont des textes assez ancrés dans l’époque et dans la vie de ma génération qui se demande où est sa place. Alors si le résultat de tout ça sonne « pop », tant mieux, mais peu m’importe.

Les titres des chansons (« Meaning Of Life », « Turn To Dust », « Cancer », « Parachutes », « Lone Star », « Doesn’t Matter »…) laissent deviner des textes plutôt sombres, alors que le titre de l’album « Houdini », du nom d’un célèbre amuseur/magicien, sonne beaucoup plus léger. Est-ce pour dire qu’il faut parfois créer l’illusion? Faire semblant?

Non car faire semblant ne m’intéresse absolument pas, et je ne m’en crois pas capable. « Houdini » est simplement un pseudonyme que je donnais aux premières chansons que je composais étant plus jeune, « Little Houdini » pour être précis, tiré d’une chanson de Sage Francis que j’aime beaucoup. Je suis venu à ce titre d’album car j’ai repris deux de mes vieilles chansons sur ce disque, « Lone Star » et « Doesn’t Matter ». Ces chansons ferment le disque et en sont la clé de voûte. Ceci dit, San Carol est à mon image, sérieux et stupide, malaisé. Peut-être qu’indirectement le titre de l’album est un gag.

 

Sur ce disque, tu as travaillé avec Raphaël d’Hervez (Pégase). Tu peux nous expliquer en quoi a consisté son travail?

Je souhaitais travailler avec Raphaël sur « Humain Trop Humain » déjà, mais cela n’avait pas été possible à l’époque. Raphaël a produit l’album, il a eu en quelque sorte un rôle de directeur artistique. Pour expliquer concrètement son travail, il faut savoir comment l’album a été composé. Nous sommes arrivés en studio avec presque rien, uniquement des compositions de piano/voix, guitare/voix ou rien (« Parachutes » a par exemple été composé à partir d’une jam de studio). L’idée était que nous arrivions le matin au studio, je jouais ma chanson avec la guitare ou le piano, si le morceau était beau et nous provoquait une émotion, on travaillait avec Stw, Nerlov et Simon l’instrumental ensemble. Raphaël nous aidait sur le son et à faire les bons choix d’écriture pour complexifier notre musique, la rendre cohérente. Le but étant qu’à la fin de la journée, le morceau soit fini afin que nous conservions l’urgence de l’instant et ne pas finir avec une musique fatiguée par les allers et retours.

J’ai aussi la sensation que les musiciens qui t’accompagnent (soit les trois musiciens de VedeTT) ont aussi eu plus de place pour s’exprimer sur ce troisième album ?

J’ai toujours aimé écrire de la musique à plusieurs dans une pièce, je trouve ça noble et c’est la manière d’écrire qui me correspond le plus. Pour l’album précédent, le line-up n’était pas stable, donc le groupe n’avait pas pu être impliqué autant qu’espéré. Pour « Houdini », les gars ont fait un travail phénoménal. Nous avons vécu une expérience de studio assez incroyable et humainement très enrichissante. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé, peut-être le fait de revenir des Etats-Unis avec un paquet d’ondes positives, mais nous étions clairement dans une sorte de communion au service de la musique. C’était très fort et ces trois garçons sont de grands artistes. San Carol est un projet complexe car c’est un projet solo qui ne l’est pas vraiment, mais de toute évidence, sans Simon, Stw et Nerlov, le disque n’aurait pas cette allure dont nous sommes si fiers.

A l’écoute de « Houdini », on croit entendre planer les fantômes de Bowie (période berlinoise), Radiohead, ou même parfois du Pink Floyd. Des groupes qui ont toujours cherché l’équilibre entre musiques progressives et efficacité pop. C’est aussi ton obsession?

David Bowie est mon influence première, il illustre tout ce que j’aime dans la pop. La prise de risque, l’anti-snobisme, la volonté de création, c’est le plus grand. J’essaie à mon échelle de poursuivre cette manière de faire. C’est une personne qui tout au long de sa carrière, sauf quelques rares exceptions, a tenté (consciemment ou non) de rendre accessible des pans de la musique underground, les expérimentations du kraut sur sa fameuse trilogie berlinoise que tu cites, la musique industrielle avec « Outside », le jazz avec un titre comme « Aladdin Sane ». C’est une pop qui n’a pas de limite. Quitte à étonner, je dirais aussi que ce disque doit pas mal à quelqu’un comme Elton John, dont j’aime beaucoup les premiers disques. En matière de chant et de storytelling, c’est un monstre. J’aime la démesure de certains de ses disques et je trouve par exemple « Goodbye Yellow Brick Road » ou « Honky Château » assez érudits et finalement proches de Bowie.

Le morceau « Lone Star » est particulièrement impressionnant. Très long (9mn), structuré en plusieurs mouvements assez distincts avec une dernière partie presque ambient/dub, et pourtant toujours super efficace. Ce morceau a une histoire particulière?

J’ai composé ce morceau il y a huit ans quand je vivais encore au Mans, j’avais fait une démo de « Lone Star » dans ma chambre en utilisant Audacity, ma guitare Peavy et une darbouka qu’avait abandonnée un ami chez moi. Il s’appelait à l’époque « Corpses & Dolphins » et on doit encore le trouver sur internet si on cherche bien. C’était joué de la pire manière qui soit, avec un son frôlant l’interdiction de séjour, mais il représente bien l’état dans lequel j’étais en 2010, boulimique de musique, à bouffer des dizaines de disques par jour sans exagérer et à avoir soif de composition, de création dans une ville où je n’avais absolument aucune manière de m’exprimer. C’était très galvanisant. Je n’ai que 27 ans maintenant, mais c’est l’âge où on n’est plus adolescent du tout normalement. Parmi mes peurs, il y en a une particulière : celle de n’être plus capable de découvrir, ne plus être curieux, ne plus créer.

En attendant la sortie de « Houdini » le 19 octobre et le concert de San Carol au Chabada le 20 octobre, nous ne pouvons que vous inviter à réviser les deux premiers albums de San Carol.

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